Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où elle était curieuse d’aller à présent, de même qu’elle prenait plaisir à se faire ouvrir à deux battants les portes des grandes faiseuses dont toute sa vie elle n’avait connu que l’enseigne. Car c’était cela surtout qu’elle cherchait dans cet amour, une revanche aux tristesses, aux humiliations de sa jeunesse. Rien ne l’amusait, par exemple, en revenant du théâtre ou d’une promenade de nuit au Bois, comme un souper au café Anglais, avec le bruit du vice luxueux autour d’elle. De ces excursions continuelles elle rapportait des façons de parler, de se tenir, des refrains risqués, des coupes de vêtements qui faisaient passer dans l’atmosphère bourgeoise de l’antique maison de commerce la silhouette exacte et extravagante du Paris-Cocotte de ce temps-là.

À la fabrique, on commençait à se douter de quelque chose Les femmes du peuple, même les plus pauvres, ont si vite fait de vous éplucher une toilette !… Quand madame Risler sortait, vers trois heures, cinquante paires d’yeux envieux et clairs, embusqués aux vitres des ateliers de polissage, la regardaient passer, voyant jusqu’au fond de sa conscience de coupable à travers son dolman de velours noir et sa cuirasse de jais scintillant.

Sans qu’elle y prit garde, tous les secrets de cette petite tête folle volaient autour d’elle comme les rubans qui flottaient sur sa nuque découverte ; et ses pieds finement chaussés dans leurs bottines dorées à dix boutons, racontaient en marchant toutes sortes de courses clandestines, les escaliers tendus de tapis qu’ils franchissaient