Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/167

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ça le suffoque… Mais s’il fallait s’occuper de toutes ces malveillances… Tenez !… moi, j’en suis entourée ici.

Le bon Risler arrondissait ses gros yeux.

– Toi ?

– Mais oui, c’est clair… tous ces gens-là me détestent. Ils en veulent à la petite Chèbe d’être devenue madame Risler aîné… Dieu sait ce qu’il se débite d’infamies sur mon compte… Et votre caissier n’a pas sa langue dans sa poche, je vous en réponds… Quel méchant homme !

Ces quelques mots eurent leur effet. Risler, indigné, trop fier pour se plaindre, rendit froideur pour froideur. Ces honnêtes gens, pleins de défiance l’un pour l’autre, ne pouvaient plus se rencontrer sans un mouvement pénible, si bien qu’au bout de quelque temps Risler aîné finit par ne plus jamais entrer à la caisse. Cela lui était facile d’ailleurs, Fromont jeune étant chargé de toutes les questions d’argent. On lui montait son mois tous les trente. Il y eut là une facilité de plus pour Georges et Sidonie, et la possibilité d’une foule de tripotages infâmes.

Elle s’occupait alors de compléter son programme de vie luxueuse. Il lui manquait une maison de campagne. Au fond, elle détestait les arbres, les champs, les routes qui vous inondent de poussière : « Tout ce qu’il y a au monde de plus triste, » disait-elle. Seulement Claire Fromont passait l’été à Savigny. Dès les premiers beaux jours, on faisait les malles à l’étage au-dessous, on décrochait les rideaux ; et une grande voiture de déménagement, où le berceau de la fillette balançait sa nacelle bleue, s’en allait vers le château