Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/237

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de Suez, et ces romans vulgaires insignifiants, en ont tous gardé pour lui un parfum marin ou exotique. Mais bientôt la boutique des livres est fermée, et il n’a même plus cette ressource pour tromper sa fatigue et sa fièvre. La baraque aux joujoux vient de rentrer aussi tout entière dans sa clôture de planches. Les sifflets, les brouettes, les arrosoirs, les pelles, les râteaux, tout l’outillage des petits Parisiens en villégiature disparaît en une minute. La marchande, une femme maladive, à l’air triste, s’entortille d’un vieux manteau et s’en va, sa chaufferette à la main.

Tous ces gens-là ont fini leur journée, l’ont prolongée jusqu’à la dernière minute avec cette vaillance et cet entêtement de Paris qui n’éteint ses réverbères qu’au jour. Cette idée de longue veille le fait penser à une chambre bien connue où la lampe baisse à cette heure sur la table chargée de colibris et de lucioles ; mais cette vision traverse rapidement son esprit dans ce chaos de pensées sans suite que fait naître en lui le délire de l’attente.

Tout à coup il s’aperçoit qu’il meurt de soif. Le Café de la Gare est encore ouvert. Il y entre. Les garçons de nuit dorment sur les banquettes. Le plancher est humide de la rinçure des verres. On met un temps infini à le servir ; puis, au moment de boire, l’idée que Sidonie est peut-être arrivée pendant son absence, qu’elle le cherche dans la salle, le fait se lever en sursaut et partir comme un fou en laissant son verre plein et sa monnaie sur la table.