Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/236

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depuis quelque temps… Ils ont été pincés dans la faillite Bonnardel… Ah ! nos jeunes gens ont besoin de prendre garde… Du train dont ils mènent leur barque il pourrait bien leur en arriver autant qu’aux Bonnardel… Mais pardon. Je crois que voilà le guichet qui va fermer. À revoir.

Frantz a à peine entendu ce qu’on vient de lui dire. La ruine de son frère, l’écroulement du monde entier, rien ne compte plus pour lui. Il attend, il attend…

Mais voilà le guichet qui se ferme brusquement, comme une dernière barrière devant son espoir entêté. La gare est vide de nouveau. La rumeur s’est déplacée, transportée sur la voie ; et soudain un grand coup de sifflet, qui se perd dans la nuit, arrive à l’amant comme un adieu ironique.

Le train de dix heures est parti.

Il essaye d’être calme et de raisonner. Évidemment elle aura manqué le convoi d’Asnières ; mais sachant qu’il l’attend, elle va venir n’importe à quelle heure de la nuit. Attendons encore. La salle est faite pour cela. Le malheureux s’assied sur un banc. On a fermé les larges vitres où l’ombre se plaque avec des luisants de papier verni. La marchande de livres, à moitié assoupie, s’occupe de ranger sa boutique. Il regarde machinalement ces files de volumes bariolés, toute la bibliothèque des chemins de fer, dont il sait les titres par cœur depuis quatre heures qu’il est là.

Il y a des livres qu’il reconnaît pour les avoir lus sous la tente à Ismaïlia ou dans le paquebot qui le ramenait