Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/247

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pas l’air heureux. Quel bonheur d’ailleurs pouvait l’attendre ? Il aimait la femme de son frère. Et à l’idée que Frantz n’était pas heureux, la bonne créature oubliait presque son propre chagrin pour ne penser qu’à celui de l’ami.

Qu’il pût lui revenir pour l’aimer encore, elle savait bien que ce n’était plus possible. Mais elle pensait que peut-être un jour elle le verrait entrer, mourant et blessé, qu’il s’assiérait sur la petite chaise basse et que, posant sa tête sur ses genoux, avec un grand sanglot, il lui conterait sa peine et lui dirait : « Console-moi… »

Cette chétive espérance la faisait vivre depuis trois semaines. Il lui en fallait si peu. Mais non. Même cela lui était refusé. Frantz était parti, parti sans un regard pour elle, sans un adieu. Après la trahison de l’amant, la trahison de l’ami. C’était horrible…

Aux premiers mots de son père, elle se sentit précipitée dans un abîme profond, glacé, rempli d’ombre, dans lequel elle descendait rapidement, inconsciemment, sachant bien que c’était sans retour vers la lumière. Elle étouffait. Elle aurait voulu résister, se débattre, appeler au secours. Mais qui ? Elle savait bien que sa mère ne l’entendrait pas.

Sidonie ?… Oh ! elle la connaissait maintenant. Il aurait mieux valu pour elle s’adresser à ces petits lophophores au plumage lustré, dont les yeux fins la regardaient avec une gaieté si indifférente.