Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/248

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Le terrible, c’est qu’elle comprit tout de suite que cette fois le travail même ne la sauverait pas. Il avait perdu sa qualité bienfaisante. Les bras inertes n’avaient plus de force ; les mains lasses, désunies, s’écartaient dans l’oisiveté du grand découragement. Qu’est-ce qui aurait donc pu la soutenir au milieu de ce grand désastre ? Dieu ? Ce qu’on appelle le Ciel ?

Elle n’y songea même pas. À Paris, surtout dans les quartiers ouvriers, les maisons sont trop hautes, les rues trop étroites, l’air trop troublé pour qu’on aperçoive le ciel. Il se perd dans la fumée des fabriques et le brouillard qui monte des toits humides ; et puis la vie est tellement dure pour la plupart de ces gens-là, que si l’idée d’une Providence se mêlait à leurs misères, ce serait pour lui montrer le poing et la maudire. Voilà pourquoi il y a tant de suicides à Paris. Ce peuple, qui ne sait pas prier, est prêt à mourir à toute heure. La mort se montre à lui au fond de toutes ses souffrances, la mort qui délivre et qui console.

C’était elle que la petite boiteuse regardait si fixement. Son parti avait été pris tout de suite : il fallait mourir. Mais comment ? Immobile sur son fauteuil, pendant que la vie bête continuait autour d’elle, que sa mère préparait le dîner, que le grand homme débitait un long monologue contre l’ingratitude humaine, elle discutait le genre de