Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/28

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de laiton, ébouriffer les plumes des colibris, les lustrer, réparer d’un fil de soie la brisure d’une patte de corail, mettre à la place des yeux éteints deux perles brillantes, rendre à l’insecte ou à l’oiseau son attitude de grâce et de vie.

La mère préparait l’ouvrage sous la direction de sa fille ; car Désirée, toute jeune encore, avait un goût exquis, des inventions de fée, et personne ne savait comme elle appliquer deux yeux de perles sur ces petites têtes d’oiseaux, déployer leurs ailes engourdies.

Boiteuse depuis l’enfance, par suite d’un accident qui n’avait nui en rien à la grâce de son visage régulier et fin, Désirée Delobelle devait à son immobilité presque forcée, à sa paresse continuelle de sortir, une certaine aristocratie de teint, des mains plus blanches. Toujours coquettement coiffée, elle passait ses journées au fond d’un grand fauteuil, devant sa table encombrée de gravures de modes, d’oiseaux de toutes les couleurs, trouvant dans l’élégance capricieuse et mondaine de son métier l’oubli de sa propre détresse et comme une revanche de sa vie disgraciée.

Elle songeait que toutes ces petites ailes allaient s’envoler de sa table immobile pour entreprendre de vrais voyages autour du monde parisien, étinceler dans les fêtes, sous les lustres ; et rien qu’à la façon dont elle plantait ses mouches et ses oiseaux, on aurait pu deviner la tournure de ses pensées. Dans les jours d’abattement, de tristesse, les becs effilés se tendaient en avant, les ailes s’ouvraient toutes grandes, comme