Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/296

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chaos, un tourbillon où il ne voyait rien distinctement et dont la confusion lui était encore un espoir, lui apparaissait en ce moment d’une netteté épouvantable. Des caisses vides, des portes fermées, des protêts, la ruine. Voilà ce qu’il apercevait, de quelque côté qu’il se tournât. Et comme à tout cela se joignait la trahison de Sidonie, le malheureux, éperdu, ne sachant à quoi s’accrocher dans ce grand naufrage, eut tout à coup un cri d’angoisse, un sanglot, comme un appel à quelque Providence.

– Georges, Georges, c’est moi… Qu’est-ce que tu as ?

Sa femme était devant lui, sa femme qui maintenant l’attendait chaque nuit, guettait anxieusement son retour du Cercle, car elle continuait à croire que c’était là qu’il passait ses soirées. À voir son mari changer, s’assombrir un peu plus de jour en jour, Claire s’imaginait qu’il devait avoir quelque gros ennui d’argent, sans doute des pertes de jeu. On l’avait prévenue qu’il jouait beaucoup, et malgré l’indifférence qu’il lui marquait, elle s’inquiétait pour lui, aurait voulu qu’il la prît pour confidente, qu’il lui donnât l’occasion de se montrer généreuse et tendre. Cette nuit-là, elle l’avait entendu marcher très tard dans sa chambre. Comme sa petite fille toussait beaucoup, réclamait des soins de toutes les minutes, elle avait partagé sa sollicitude entre la souffrance de l’enfant et celle du père ; et elle était restée là, l’oreille tendue à tous les bruits, dans une de ces veillées attendries et douloureuses où les femmes recueillent tout ce qu’elles ont en elles de courage