Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/326

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À la fin, pourtant, ses nerfs se calmèrent, la fièvre tomba, et il s’endormit. Elle resta près de lui à veiller.

« C’est mon devoir, » se disait-elle.

Son devoir ! Elle en était là maintenant, vis-à-vis de cet être qu’elle avait adoré si aveuglément, avec l’espoir d’une longue et heureuse vie à deux.

En ce moment le bal commençait à s’animer chez Sidonie. Le plafond tremblait en mesure, car, pour faciliter les danses, madame Risler avait fait enlever tous les tapis de ses salons. Quelquefois aussi un bruit de voix arrivait par bouffées, puis des applaudissements nombreux, multipliés, où l’on devinait la foule des invités, l’appartement comble.

Claire songeait. Elle ne s’épuisait pas en regrets, en lamentations stériles. Elle savait la vie inflexible, et que tous les raisonnements n’arrêtent pas la triste logique de sa marche inévitable. Elle ne se demandait pas comment cet homme avait pu la tromper si longtemps, comment il avait pu, pour un caprice, perdre l’honneur et la joie de sa maison. Ceci était le fait ; et toutes ses réflexions ne pouvaient l’effacer, réparer l’irréparable. Ce qui la préoccupait, c’était l’avenir. Une nouvelle existence se déroulait devant ses yeux, sombre, sévère, pleine de privations et de labeurs, et, par un effet singulier, la ruine, au lieu de l’effrayer, lui rendait tout son courage. L’idée d’un déplacement nécessaire aux économies qu’il allait falloir réaliser, du travail forcé pour Georges et peut-être pour elle, mettait