Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/328

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désertes, il aperçut de la lumière dans le bureau de Planus. Le vieux caissier travaillait encore. À une heure du matin, c’était vraiment extraordinaire.

Le premier mouvement de Risler fut de revenir sur ses pas. En effet, depuis sa brouille incompréhensible avec Sigismond, depuis que celui-ci avait pris à son égard ce parti de froideur silencieuse, il évitait de se trouver en face de lui. Son amitié blessée l’avait toujours éloigné d’une explication ; il mettait une sorte de fierté à ne pas demander à Planus pourquoi il lui en voulait. Pourtant, ce soir-là, Risler éprouvait un tel besoin d’effusion, de cordialité, et puis l’occasion était si belle d’un tête-à-tête avec son ancien ami, qu’il ne chercha pas à l’éviter et entra bravement dans le bureau.

Le caissier était là, assis, immobile parmi des monceaux de paperasses, de gros livres feuilletés dont quelques-uns avaient glissé à terre. Au bruit que son patron fit en entrant, il ne leva pas même les yeux. Il avait reconnu le pas de Risler. Celui-ci, un peu intimidé, hésita une minute, ensuite, poussé par un de ces ressorts secrets que nous avons en nous et qui nous mettent malgré tout dans la voie de notre destinée, il vint droit au grillage de la caisse.

– Sigismond… dit-il d’une voix grave.

Le vieux leva la tête et montra un visage crispé où coulaient deux grosses larmes, les premières peut-être que cet homme-chiffre eût jamais versées de sa vie.

– Tu pleures, mon vieux ?… Qu’est-ce que tu as ?