Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/362

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Il en voulait presque à Planus de ne pas lui en parler. Cette lettre surtout, cette lettre qu’il avait eu le courage de ne pas ouvrir, le troublait. Il y pensait constamment. Ah ! s’il avait osé, comme il l’aurait redemandée à Sigismond.

Un jour la tentation fut trop forte. Il se trouvait seul en bas dans le bureau. Le vieux caissier était parti déjeuner, laissant par extraordinaire la clef sur son tiroir. Risler n’y put pas résister. Il ouvrit, chercha, souleva les papiers. La lettre n’y était plus, Sigismond avait dû la serrer encore plus soigneusement, peut-être dans la prévision de ce qui arrivait en ce moment. Au fond, Risler ne fut pas fâché de ce contre-temps ; car il sentait bien que s’il avait trouvé sa lettre, c’eût été la fin de cette résignation active qu’il s’imposait si péniblement.

Toute la semaine, cela allait bien encore. L’existence était supportable, absorbée dans les mille soins de la maison et tellement fatigante, que Risler, la nuit venue, tombait sur son lit comme une masse inconsciente. Mais le dimanche lui était long et pénible. Le silence des cours, des ateliers déserts, ouvrait à sa pensée un champ plus vaste. Il essayait de travailler ; mais l’encouragement du travail des autres manquait au sien. Lui seul était occupé dans cette grande fabrique au repos, dont le souffle même s’arrêtait. Les verrous mis, les persiennes fermées, la voix sonore du père Achille jouant avec son chien dans les cours abandonnées, tout lui parlait de solitude. Et le quartier aussi lui donnait cette impression. Dans les rues élargies, où les promeneurs étaient