Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/374

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Pendant qu’ils étaient là, en face l’un de l’autre, assez embarrassés de ce long silence, la musique militaire éclata sous les arbres du jardin. On jouait une de ces ouvertures d’opéra italien qui semblent faites pour le plein ciel des promenades publiques, et dont les notes nombreuses se mêlent, en montant dans l’air, aux « psst !… psst !… » des hirondelles, à l’élan perlé du jet d’eau. Les cuivres éclatants font bien ressortir la douceur tiède de ces fins de journées d’été si accablées, si longues à Paris, il semble qu’on n’entend plus qu’eux. Les roues lointaines, les cris des enfants qui jouent, les pas des promeneurs sont emportés dans ces ondes sonores jaillissantes et rafraîchissantes, aussi utiles aux Parisiens que l’arrosement journalier de leurs promenades. Tout autour les fleurs fatiguées, les arbres blancs de poussière, les visages que la chaleur rend pâles et mats, toutes les tristesses, toutes les misères d’une grande ville courbées et songeuses sur les bancs du jardin en reçoivent une impression de soulagement et de réconfort. L’air est remué, renouvelé par ces accords qui le traversent en le remplissant d’harmonie.

Le pauvre Risler éprouva comme une détente de tous ses nerfs.

– Ça fait du bien, un peu de musique… disait-il avec des yeux brillants.

Et il ajouta en baissant la voix :

– J’ai le cœur gros, mon vieux… Si tu savais…

Ils restèrent sans parler, accoudés à la fenêtre, pendant qu’on leur servait le café.