Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/86

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Comment avez-vous fait, petite Chèbe, pour garder votre sang-froid en apprenant que la fabrique allait vous échapper, qu’une autre femme avait pris votre place ? Quelle sinistre soirée !… Madame Chèbe reprisait près de la table, M. Chèbe séchait devant le feu ses vêtements mouillés d’une longue course sous la pluie. Oh ! le misérable intérieur, plein de tristesse et d’ennui. La lampe éclairait mal. Le repas vite fait avait laissé dans la pièce une odeur de cuisine de pauvres. Et ce Risler, ivre de joie, qui parlait, s’animait, faisait des projets !

Toutes ces choses vous serraient le cœur, vous rendaient la trahison encore plus affreuse par la comparaison de la richesse qui fuyait votre main tendue et de cette infâme médiocrité où vous étiez condamnée à vivre…

Elle en fut sérieusement et longuement malade. De son lit, quand les vitres secouées sonnaient sous les rideaux, la malheureuse croyait toujours que les voitures de la noce de Georges passaient en bas dans la rue, et elle avait des crises nerveuses, muettes, inexplicables, comme une fièvre de colère qui la consumait.

Enfin, le temps, la jeunesse, les soins de sa mère et surtout ceux de Désirée, qui savait maintenant le sacrifice qu’on lui avait fait, vinrent à bout de la maladie. Mais Sidonie resta longtemps très faible, accablée par une tristesse mortelle, des envies de pleurer qui la secouaient nerveusement.

Tantôt elle parlait de voyager, de quitter Paris.