Page:Daudet - Jack, I.djvu/171

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matelas jetés à terre, c’est là que l’héritier présomptif de la couronne de Dahomey fut retrouvé par son excellent maître.

— Ah ! malheureux enfant, dans quel état faut-il que je… que je…

Le digne Moronval n’en put dire davantage, étranglé par la surprise et l’émotion ; et à le voir jeter au cou du négrillon ses deux grands bras comme d’avides tentacules, l’inspecteur de police, qui l’accompagnait, ne put s’empêcher de penser :

— À la bonne heure ! voilà un maître de pension qui aime ses élèves.

En revanche, ce sans-cœur de Mâdou paraissait frappé d’une complète indifférence ; ses traits n’exprimèrent rien en voyant paraître Moronval, ni joie, ni peine, ni surprise, ni honte, pas même cette sainte terreur que le mulâtre lui inspirait d’ordinaire et que les circonstances auraient dû, ce semble, fortifier.

Ses yeux regardaient sans voir, mornes dans sa face déteinte, pâlie en-dessous et dépourvue de luisant. Ce qui accentuait encore cette prostration, c’était l’aspect sordide et effrayant de toute sa personne, un paquet de guenilles boueuses. De la tête aux pieds et jusque dans ses cheveux crépus, la boue s’était amassée par couches anciennes, récentes, superposées, et dont les plus sèches s’enlevaient par plaques couleur de poussière.

Il avait l’air d’un être amphibie qui s’est tour à