Page:Daudet - Jack, I.djvu/196

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alors l’ombre et le froid de la nuit descendant sur ses épaules, pénétrèrent jusqu’à son cœur avec le tremblement d’un frisson. Tant qu’il s’était senti dans la ville, dans la foule, il avait eu un grand effroi, l’effroi d’être reconnu, repris ; maintenant il avait peur encore, mais sa peur était d’autre nature, un malaise irraisonné, accru du grand silence et de la solitude.

Pourtant l’endroit où il se trouvait n’était pas encore la campagne. La rue se bordait de maisons des deux côtés ; mais à mesure que l’enfant avançait, ces bâtisses s’espaçaient de plus en plus, ayant entre elles de longues palissades en planches, de grands chantiers de matériaux, des hangars penchés, tout en toit. En s’écartant, les maisons diminuaient de hauteur. Quelques usines aux toitures basses dressaient encore leurs longues cheminées vers le ciel couleur d’ardoise ; puis, seule entre deux galetas, une immense bâtisse de six étages s’élevait, criblée de fenêtres d’un côté, sombre et fermée sur les trois autres, perdue au milieu de terrains vagues, sinistre et bête. Mais, comme épuisée par ce dernier effort, la ville en train d’expirer ne montrait plus que des masures lamentables presque à fleur de terre. La rue semblait mourir aussi n’ayant plus de trottoirs ni de bornes, réunissant en un seul ses deux ruisseaux séparés. On eût dit une grande route qui traverse un village et se fait « la grand’rue » pendant quelques mètres.

Quoiqu’il fût à peine huit heures, cette longue voie,