Page:Daudet - Jack, I.djvu/201

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de pays qu’il entendait prononcer étaient bien ceux dont Augustin parlait.

— Nous voilà chez nous, nous autres, dit tout à coup l’officier en s’arrêtant… allons, bonsoir, mon enfant… Une autre fois, je t’engage à ne plus te hasarder tout seul à cette heure sur les routes. La banlieue de Paris n’est pas sûre.

Et les deux soldats avec leur falot s’enfoncèrent dans une petite ruelle, laissant Jack, seul encore une fois, à l’entrée de la longue rue de Charenton.

Il retrouvait là les réverbères de Bercy, les cabarets borgnes d’où sortaient des chants avinés, des disputes brutales que la lourdeur du sommeil épaississait encore. Neuf heures sonnaient là-haut à une église derrière laquelle s’étageaient des maisons, des jardins sur une côte. Ensuite il se trouva au bord d’un quai, traversa un pont qui lui semblait jeté sur un abîme, tellement la nuit était noire. Il aurait voulu s’arrêter, s’appuyer un moment au parapet ; mais les chants de tout à l’heure, dispersés maintenant dans les rues, se rapprochaient, et chassé par une terreur nouvelle, le pauvre petit se mit à courir, à rejoindre la pleine campagne où du moins la peur prenait des aspects de rêve.

Ici ce n’était plus la banlieue parisienne aux champs entrecoupés d’usines. Il longeait des fermes, des étables d’où sortaient des froissements de paille, une odeur chaude de laine et de fumier. Ensuite la route s’élargis-