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Page:Daudet - Jack, I.djvu/203

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— Si je chantais, pour me donner du cœur !

Au milieu de l’ombre, ce fut une chanson de nuit qui lui revint, un air de Touraine avec lequel sa mère l’endormait autrefois dans sa petite chambre, quand la lumière était éteinte :

Mes souliers sont rouges,
Ma mie, ma mignonne.

Cela grelottait dans l’air froid et faisait pitié à entendre, cette peur d’enfant fredonnant au milieu de la grande route noire et se servant de sa chanson pour se guider comme d’un fil tremblant et sonore… Tout à coup la chanson s’arrêta net.

Quelque chose de terrible s’approchait, un moutonnement plus noir que l’espace, comme si les ténèbres des fonds s’avançaient sur l’enfant pour l’engloutir.

Avant de voir, de distinguer, il entendit.

C’étaient d’abord des cris, des cris humains mal articulés qui ressemblaient à des sanglots ou à des hurlements ; puis des coups sourds, mêlés au tumulte d’une grosse averse, d’une pluie d’orage en train de venir vers lui, portée par cette nuée lugubre. Soudain un beuglement horrible retentit. Des bœufs, ce sont des bœufs, tout un troupeau serré entre les deux fossés, et qui enveloppe le petit Jack, le frôle, le bouscule. Il sent le souffle humide des naseaux, le