Page:Daudet - Jack, I.djvu/226

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— Ah ! cher, que tu es grand, que tu es bon !… murmurait la pauvre femme, pendant que l’enfant, congédié d’un geste, descendait l’escalier bien vite pour cacher son émotion.

Au fond, cette arrivée de Jack dans la maison allait être une distraction pour le poète. La première joie de l’installation passée, il s’était promptement fatigué du tête-à-tête avec Ida, qu’il appelait maintenant Charlotte, en souvenir de l’héroïne de Gœthe, et aussi parce qu’il ne voulait rien lui laisser de l’ancienne Ida de Barancy. Avec elle, il se sentait seul, tellement sa personnalité envahissante s’était imposée à cette malheureuse créature, d’esprit borné et de caractère nul.

Elle répétait ses mots, s’imprégnait de ses idées, délayait ses paradoxes en bavardages interminables ; de sorte qu’ils ne faisaient qu’un à eux deux, et cette unité, qui peut sembler l’idéal du bonheur dans certaines conditions de vie, était devenue le vrai supplice de d’Argenton, trop batailleur, discuteur, controversant, pour se contenter de cette approbation permanente.

Au moins, maintenant, il aurait quelqu’un à contrarier, à diriger, à morigéner, car il était pion bien plus qu’il n’était poète ; et ce fut dans ces dispositions agitées qu’il entreprit l’éducation de Jack avec la ponctualité pompeuse, la solennité méthodique qu’apportait à ses moindres actions cet éternel pontifiant.