Page:Daudet - Jack, I.djvu/376

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quelque trépan formidable dont la vis interminable aurait grincé dans son cerveau. Il n’avait pas pu vaincre encore la terreur que lui causaient toutes ces forces inconscientes, brutales, impitoyables, auxquelles on l’avait livré. Mues par la vapeur, elles lui faisaient l’effet de bêtes méchantes qui le guettaient au passage pour le happer, le déchirer, le mettre en pièces. Immobiles, refroidies, elles lui semblaient plus menaçantes encore, les mâchoires ouvertes, les crocs tendus, ou tous leurs engins de destruction rentrés, cachés, avec une apparence de cruauté repue et satisfaite. Une fois cependant il fut témoin à l’usine d’une cérémonie émouvante qui lui fit comprendre, mieux que toutes les explications du père Roudic, qu’il y avait une beauté et une grandeur dans ces choses.

On venait de terminer, pour une canonnière de l’État, une superbe machine à vapeur de la force de mille chevaux. Elle était depuis longtemps dans la halle de montage, dont elle occupait tout le fond, entourée d’une nuée d’ouvriers, debout, complète, mais non achevée. Souvent Jack, en passant, la regardait, de loin seulement à travers les vitres, car personne, hormis les ajusteurs, n’avait le droit d’entrer. Sitôt finie, la machine devait partir pour Saint-Nazaire, et ce qui faisait la beauté, la rareté de ce départ, c’est que, malgré son poids énorme et la complication de l’outillage, les ingénieurs d’Indret avaient décidé de l’embarquer toute montée et d’une seule pièce, les formidables en-