Page:Daudet - Jack, I.djvu/377

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gins de transbordement dont dispose l’usine leur permettant ce coup d’audace. Tous les jours on disait : « C’est pour demain… » mais il y avait chaque fois, au dernier moment, un détail à surveiller, des choses à réparer, à perfectionner. Enfin, elle était prête. On donna, l’ordre d’embarquer.

Ce fut un jour de fête pour Indret. À une heure, tous les ateliers étaient fermés, les maisons et les rues désertes. Hommes, femmes, enfants, tout ce qui vivait dans l’île avait voulu voir la machine sortir de la halle de montage, descendre jusqu’à la Loire et passer sur le transport qui devait l’emporter. Bien avant que le grand portail fût ouvert, la foule s’était amassée aux abords de la halle avec un tumulte d’attente, un brouhaha d’endimanchement. Enfin, les deux battants de l’atelier s’écartèrent, et, de l’ombre du fond, on vit s’avancer l’énorme masse, lentement, lourdement, portée sur la plate-forme roulante qui, tout à l’heure, allait servir de point d’appui pour l’enlever et que des palans mus par la vapeur entraînaient sur les rails.

Quand elle apparut à la lumière, luisante, grandiose et solide, une immense acclamation l’accueillit.

Elle s’arrêta un moment comme pour prendre haleine et se laisser admirer sous le grand soleil qui la faisait resplendir. Parmi les deux mille ouvriers de l’usine, il ne s’en trouvait pas un peut-être qui n’eût coopéré à ce beau travail dans la mesure de son talent ou de ses forces. Mais ils avaient travaillé isolément,