Page:Daudet - Jack, I.djvu/83

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Mâdou se résigna pourtant. Il voulait être roi un jour, commander aux amazones de son père, posséder tous ses champs de blé et de maïs, ses palais remplis de jarres en terre rouge où froidissait l’huile de palme, et tout cet amoncellement d’ivoire, d’or, de minium, de corail. Pour avoir ces richesses, il fallait les mériter, être capable de les défendre à l’occasion, et Mâdou pensait déjà que c’est dur d’être roi et que si l’on a plus de jouissances que les autres hommes, on a bien plus de peine aussi.

Son départ fut l’occasion de grandes fêtes publiques, de sacrifices aux fétiches, aux divinités de la mer. Tous les temples furent ouverts pour la solennité, tout le peuple oisif en prières, et au dernier moment, le navire étant prêt à appareiller, le bourreau amena sur le rivage quinze prisonniers achantis dont les têtes coupées tombèrent, ruisselantes et sonores, dans un grand bassin de cuivre rouge.

— Miséricorde !… interrompit Jack éperdu, blotti sous ses couvertures.

Le fait est qu’il n’est pas rassurant d’entendre raconter de pareilles histoires par celui-là même qui en a été le héros. Il y avait de quoi vraiment terrifier les plus braves ; pour se rassurer, il fallait se dire bien vite qu’on était dans le pensionnat Moronval, au beau milieu des Champs-Élysées, et non dans ce terrible Dahomey.