Page:Daudet - Jack, I.djvu/92

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regarder son maître avec des yeux câlins, l’humilité frémissante d’un chien soumis, il n’obtenait le plus souvent que des coups de matraque pour récompense.

— Jamais content !… Jamais content !… disait le négrillon avec une expression désespérée. Et le ciel de Paris lui semblait devenir plus noir, la pluie plus continuelle, la neige plus abondante et plus froide.

Ô Kérika, tante Kérika, si aimante et si fière, où êtes-vous ? Venez voir ce qu’ils font du petit roi, comme on le traite durement, comme on le nourrit mal, comme on l’habille de guenilles, sans pitié pour son corps frileux. Il n’a plus qu’un vêtement de propre maintenant, c’est sa livrée, casaque rouge, gilet rayé, casquette à galon. À présent, quand il accompagne le maître, il ne marche plus à côté de lui en égal ; il le suit à dix pas. Ce n’est pas encore le plus dur.

De l’antichambre il passe à la cuisine, et de la cuisine, comme on a remarqué son honnêteté, son ingénuité, on l’envoie au marché de Chaillot avec un grand panier faire les provisions.

Et voilà où en est réduit le dernier descendant du puissant Tocodonou, fondateur de la dynastie dahomyenne ! À aller marchander les vivres du gymnase Moronval… Deux fois par semaine on le voit remonter la longue rue de Chaillot, longeant les murs, maigri, souffreteux, grelottant, car maintenant il a froid, toujours froid, et rien ne le réchauffe, ni les exercices violents auxquels on le condamne, ni les coups, ni la