Page:Daudet - Jack, II.djvu/106

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qui offraient une diversité étonnante de costumes et de langages, tous les pays de la terre se donnant rendez-vous sur ce milieu mixte, international, qu’on appelle un pont de navire. Tout ce monde courait, s’installait. Des gens étaient gais, d’autres pleuraient d’un adieu précipité, mais tous avaient au front un souci ou un espoir ; car les déplacements sont presque toujours le résultat de quelque perturbation, de quelque volte d’existence, et c’est en général le dernier tremblement d’une grande secousse que ces départs qui vous jettent d’un continent à un autre. Aussi les deuils côtoient l’aventure sur les ponts des paquebots et mêlent leur mélancolie à la fièvre du voyage.

Elle était partout, cette fièvre singulière, dans la marée qui montait à grand bruit, dans les révoltes du vaisseau tirant son ancre, dans l’agitation des petites barques qui l’entouraient. Elle animait là-bas, sur la jetée, une foule émue et curieuse, venue pour saluer les voyageurs, suivre de loin quelque silhouette aimée, et formant sur l’étroit espace comme une barre sombre qui coupait l’horizon bleu. Elle doublait, cette fièvre, l’élan des bateaux de pêche gagnant le large à pleines voiles pour toute une nuit de hasard et de combat ; et les grands steamers qui rentraient la sentaient battre, dans leurs toiles lasses, comme un regret des beaux pays parcourus.

Pendant que l’embarquement finissait, que la cloche de l’avant du navire hâtait les dernières