Page:Daudet - Jack, II.djvu/105

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— Il arrive bien, dit l’autre presque sans se retourner, je manque de monde pour les escarbilles.

— Bon courage, petit gas ! fit le père Roudic en donnant à son apprenti une vigoureuse poignée de main.

Et Jack fut tout de suite mis aux escarbilles. Tous les détritus de charbon dont les cendriers se trouvent obstrués, encrassés, sont jetés dans des paniers que l’on monte sur le pont pour les vider dans la mer. Dur métier. Les paniers sont lourds, les échelles raides, suffocante la transition de l’air pur à l’étouffement du gouffre. Au troisième voyage, Jack sentait ses jambes fondre sous lui. Incapable même de soulever son panier, il restait là anéanti, moite d’une sueur qui lui enlevait tout ressort, quand l’un des chauffeurs, le voyant en cet état, alla prendre dans un coin un large fiasque d’eau-de-vie et le lui présenta.

— Non, merci, je n’en bois pas, dit Jack.

L’autre se mit à rire.

— Tu en boiras, dit-il.

— Jamais !… fit Jack, et se raidissant par un sursaut de sa volonté bien plus que par l’effort de tous ses muscles, il chargea la lourde corbeille sur son dos et la monta courageusement.

Le pont présentait un coup d’œil animé et pittoresque. Le petit paquebot amenant les voyageurs venait d’arriver et de se ranger à côté du grand steamer. De là montait une foule de passagers, pressés, ahuris,