Page:Daudet - Jack, II.djvu/108

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C’était le Moco qui faisait sa ronde. Jack descendit sans rien dire, honteux de cette humiliation devant tous.

Comme il mettait le pied sur l’échelle menant à la chambre de chauffe, une longue secousse ébranla le navire, la vapeur qui grondait depuis le matin régularisa son bruit, l’hélice se mit en branle. On partait.

En bas, c’était l’enfer.

Chargés jusqu’à la gueule, dégageant avec des lueurs d’incarnat une chaleur visible, les fours dévoraient des pelletées de charbon sans cesse renouvelées par les chauffeurs dont les têtes grimaçaient, tuméfiées, apoplectiques, sous l’action de ces feux ardents. Le grondement de l’Océan semblait le rugissement de la flamme, le bruit du flot confondu avec un pétillement d’étincelles donnait l’expression d’un incendie inextinguible renaissant de tous les efforts qu’on faisait pour l’éteindre.

— « Mets-toi là… » dit le chef de chauffe.

Jack vint se mettre devant une de ces gueules enflammées qui tournaient tout autour de lui, élargies et multipliées par le premier étourdissement du tangage. Il fallait activer ce foyer d’embrasement, l’agacer du ringard, le nourrir, le décharger sans cesse. Ce qui lui rendait la besogne plus terrible, c’est que, n’ayant pas l’habitude de la mer, les trépidations violentes de l’hélice, les surprises du roulis le faisaient chanceler, le jetaient à tout moment vers la flamme. Il était