qui devait durer trois ans. Trois sinistres années aux jours tout pareils, aux mois confondus et brouillés, aux saisons uniformes dans la canicule constante de la chambre de chauffe.
Il traversa des zones inconnues dont les noms étaient clairs, chantants, rafraîchissants, des noms espagnols, italiens ou français, du français enfantin des colonies ; mais de toutes ces contrées magiques, il ne vit ni les ciels de saphir, ni les îles vertes étalées en féconds bouquets sur les vagues phosphorescentes. La mer grondait pour lui de la même colère, le feu de la même violence. Et plus les pays étaient beaux, plus la chambre de chauffe était terrible.
Il relâcha dans des ports fleuris, horizonnés de forêts de palmiers, de bananiers au vert panache, de collines violettes, de cases blanches étayées de bambou ; mais pour lui tout gardait la couleur de la houille. Après que pieds nus sur les quais enflammés de soleil, empoissés de goudron fondu ou du suc noir des cannes à sucre, il avait vidé ses escarbilles, cassé du charbon, transbordé du charbon, il s’endormait épuisé au long des berges ou allait s’enfermer dans quelque bouge, des berges et des bouges semblables à ceux de Nantes, hideux témoins de sa première ivresse. Là, il trouvait d’autres chauffeurs, des Anglais, des Malais, des Nubiens, brutes féroces, machines à tisonner ; et comme on n’avait rien à se dire, on buvait. D’abord, quand on est chauffeur, il faut boire. Ça fait vivre.