Page:Daudet - Jack, II.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compactes, sérieuses, qui ont une visée, un but, choisissent des rues tranquilles, claustrales, où le mouvement du Paris qui passe ne dérange pas trop leurs pénibles élucubrations.

La Revue des races futures, revue indépendante et humanitaire, était admirablement à sa place sur ce quai où flotte une poussière de vieux bouquins, « dans le voisinage de l’Institut, » comme disait Charlotte. La maison, elle aussi, avec ses vieux balcons noircis, son fronton vermiculé, son large escalier à rampe ouvragée, suffisamment moisie et triste, répondait bien à l’esprit de la Revue. Ce qui y répondait moins, par exemple, c’étaient la physionomie et la tenue des rédacteurs.

Depuis environ six mois que les Races futures étaient fondées, le concierge terrifié avait laissé franchir le seuil de son immeuble à tout ce que la basse littérature renferme de plus crasseux, de plus bizarre, de plus lamentable. « Il nous vient jusqu’à des nègres, jusqu’à des Chinois, » racontait à ses collègues du quai des Augustins le malheureux cerbère, et je pense que par là il faisait allusion à Moronval, un des assidus de la revue, toujours escorté de quelque petit « pays chaud. » Mais Moronval n’était pas le seul à hanter la maison vénérable devenue le rendez-vous des ratés de Paris et de la province, de tous ces tristes qui circulent dans la vie avec des manuscrits trop gros pour leurs redingotes étriquées.