Page:Daudet - Jack, II.djvu/126

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— J’ai beaucoup travaillé, dit-il très sérieusement à ses amis… Je veux prendre l’air… Allons faire un tour.

— Tu as raison, dit Charlotte… Sors un peu, cela te fera du bien.

Charlotte qui, d’habitude, retient son « artiste » sans cesse à la maison, parce qu’elle croit toutes les dames du faubourg Saint-Germain informées de son retour et prêtes à s’inscrire à la file pour « boire tout le sang de son cœur, » ce soir-là exceptionnellement est ravie de le voir partir, de rester seule avec sa pensée. Elle pourra donc pleurer en paix sans que personne essaie de la consoler, se livrer tout entière à ces terreurs, à ces pressentiments qu’elle n’ose pas avouer de peur d’être brutalement rassurée. Voilà pourquoi la servante même la gêne, pourquoi au lieu de bavarder longuement avec elle comme à chaque fois que monsieur sort, elle la renvoie dans sa mansarde.

— Madame veut rester seule ?… Madame n’a pas peur ?… C’est si triste ce vent qui souffle sur ce balcon.

— Non, laissez-moi… je n’ai pas peur.

Enfin la voilà seule, elle peut se taire, réfléchir à son aise, sans que la voix du tyran lui dise : « À quoi penses-tu ?… » Elle pense à son Jack, parbleu ! Et à quoi penserait-elle ? Depuis qu’elle a lu dans le journal cette ligne sinistre : On est sans nouvelles du Cydnus, l’image de son enfant la poursuit, l’affole, ne