Page:Daudet - Jack, II.djvu/127

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la quitte plus. Le jour encore, l’égoïsme accapareur du poëte lui ôte jusqu’à son tourment ; mais la nuit, elle ne dort pas. Elle écoute le vent qui souffle et lui cause une terreur singulière. À cet angle du quai où ils habitent, il arrive toujours de quelque point différent, irrité ou plaintif, secouant les vieilles boiseries, effleurant les vitres sonores, rabattant une persienne détachée. Mais qu’il chuchote ou qu’il crie, il lui parle. Il lui dit ce qu’il dit aux mères et aux femmes de marins, des paroles qui la font pâlir.

C’est qu’il vient de loin, ce vent de tempête, et il vient vite, et il en a vu, des aventures ! Sur ces grandes ailes d’oiseau fou qu’il heurte partout où il passe, toutes les rumeurs, tous les cris s’enlèvent et se transportent avec une égale rapidité. Tour à tour farceur ou terrible, dans la même minute il a déchiré la voile d’un bateau, éteint une bougie, soulevé une mantille, préparé les orages, activé l’incendie ; c’est tout cela qu’il raconte et qui donne à sa voix tant d’intonations différentes, joyeuses ou lamentables.

Cette nuit, il est sinistre à entendre. Il passe en courant sur le balcon, ébranle les croisées, siffle sous les portes. Il veut entrer. Il a quelque chose de pressé à dire à cette mère ; et tous les bruits qu’il apporte, qu’il jette contre la vitre en secouant ses ailes mouillées, résonnent comme un appel ou un avertissement. La voix des horloges, un sifflet lointain de chemin de fer, tout prend le même accent, plaintif, réitéré,