Page:Daudet - Jack, II.djvu/137

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Très vite, le souffle encore haletant du long récit de tout à l’heure, elle répondit :

— Il s’appelait le marquis de l’Épan, chef d’escadrons au 3e hussards.

Il faut croire que Jack n’avait pas sur la noblesse, sur ses droits et ses prérogatives les mêmes illusions que sa mère, car il accueillit avec la plus grande tranquillité le secret de son illustre naissance. Après tout, que son père eût été marquis, cela ne l’empêchait pas d’être chauffeur, lui, et un mauvais chauffeur, aussi crevé, aussi démoli, aussi hors de service que la chaudière du Cydnus en ce moment au fond de l’océan Atlantique avec six cents brasses de mer au-dessus d’elle. Que son père eût porté un nom retentissant, cela ne l’empêchait pas de s’appeler Jack, lui, et d’être une de ces tristes épaves que la vie roule et déplace dans son flot toujours changeant. D’ailleurs, ce père dont on lui parlait était mort, et ce réveil d’un sentiment inconnu qui avait agité Jack une minute, ne trouvant rien à quoi se prendre, une fois sa curiosité satisfaite, s’anéantit comme tout le reste dans la torpeur de ses facultés.

— Ah çà, voyons ! Charlotte… Il faut prendre un parti avec ce garçon. Il ne peut pas rester là éternellement, sans rien faire. Ses jambes vont bien. Il mange comme un bœuf, sans reproche. Il tousse encore un peu ; mais Hirsch prétend qu’il toussera toujours… Il devrait pourtant se décider à quelque chose.