Page:Daudet - Jack, II.djvu/151

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gnait une autre toute morale. Pour achever sa confusion et sa peine, voici que toutes ses débauches, toutes ses orgies de matelot lui revenaient à la mémoire, comme si les bouges où il avait roulé aux quatre coins du monde avaient laissé leur hideur sur tout son être, comme si cela se voyait, comme si elle, surtout, le voyait. Le pli de tristesse qui marquait ce jeune front si uni, ce qu’il y avait de compatissant dans ces beaux yeux, tout lui disait qu’elle s’apercevait de son abjection ; et il souffrait, et il avait honte.

Sainte honte, souffrance bénie ! C’était son âme qui se réveillait, toute confuse et trempée de larmes. Mais lui ne s’en rendait pas compte. Il s’en voulait d’être venu, et pensait à s’enfuir, à descendre l’escalier quatre à quatre, à se sauver jusqu’aux Aulnettes pour s’y enfermer à triple tour, en jetant la clef dans le puits, afin de n’avoir plus la tentation de sortir.

Heureusement il vint du monde à la pharmacie, et Cécile, s’activant autour des balances de cuivre, pesant, numérotant les paquets, inscrivant les ordonnances comme faisait sa grand’mère, Jack ne sentit plus le poids de cette attention de jeune fille arrêtée sur sa triste personne.

Alors il n’eut plus qu’à l’admirer.

Elle était admirable, en effet, de douceur, de patience, avec toutes ces pauvres femmes de paysans, bavardes et stupides, dont les longues explications recommençaient toujours et ne se lassaient pas.