Page:Daudet - Jack, II.djvu/154

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contraire que redoubler son embarras. Devant Cécile, il ne savait plus manger, tremblait de trahir des habitudes de cabaret. À la table de d’Argenton, la mauvaise tenue contractée dans sa vie ouvrière ne l’avait jamais gêné. Ici il se sentait déplacé, ridicule ; et ses malheureuses mains surtout le mettaient au supplice. Celle qui tenait la fourchette, passe encore ; elle s’occupait. Mais l’autre, qu’en faire ? Sur la blancheur de la nappe, toutes ses meurtrissures ressortaient affreusement. De désespoir, il la laissait pendre à côté de lui, ce qui lui donnait une attitude de manchot. Les prévenances de Cécile ne faisaient qu’augmenter sa timidité. Elle s’en aperçut, et ne le regarda plus qu’à la dérobée jusqu’à la fin de ce repas qui leur parut interminable.

Enfin, Catherine vint enlever le dessert et mit devant la jeune fille l’eau chaude, le sucre et la bouteille à long col pleine de vieille eau-de-vie. Depuis que sa grand’mère n’était plus là, c’était Cécile qui faisait le grog du docteur, et le brave homme n’avait pas gagné au change, car, de peur de tenir le grog trop chargé, elle en était arrivée à composer une lotion pharmaceutique « où la dose d’alcool diminuait de jour en jour, » observait M. Rivals mélancoliquement.

Quand elle eut donné son verre au grand’père, la jeune fille se tourna vers leur invité :

— Buvez-vous de l’eau-de-vie, monsieur Jack ?

Le docteur se mit à rire.