Page:Daudet - Jack, II.djvu/153

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— Tiens ! le petit des Aulnettes, dit-elle tout haut à Cécile qui l’accompagnait. Est-il décati, bon Dieu Seigneur !… Dites donc, mamselle Cécile, voilà qui va ben leur couper la langue à ceux-là qui disions dans les temps que M. Rivals chauffait le petit Ragenton pour vous en faire un mari… Ben sûr que vous n’en voudriez plus maintenant… C’est-il fichant tout de même comme la vie vous change.

Elle s’en alla en ricanant.

Jack s’était senti pâlir. Ah ! la vieille brigande, elle le lui avait donc décoché ce vieux coup de « sarpe » dont elle le menaçait tant jadis. Vrai coup de serpe, de cet outil à lame courbée, méchant et retors comme son nom. La blessure alla loin, bien loin, et devait être longue à guérir. Mais Jack n’avait pas été seul atteint, et je sais quelqu’un qui faisait semblant d’écrire sur le grand livre, et qui écrivait tout de travers, la tête penchée et rouge d’une bien vive émotion.

— Catherine, vite la soupe, et du bon vin, et du bon cognac, et tout le tremblement !

C’était le docteur qui rentrait et qui, voyant Jack et Cécile gênés, silencieux en face l’un de l’autre, éclata d’un joyeux rire :

— Comment ! voilà tout ce que vous avez à vous conter depuis sept ans que vous ne vous êtes vus ? Allons, vite à table. Ça va le mettre à l’aise tout de suite, ce pauvre garçon.

Le déjeuner ne mit pas Jack à l’aise, et ne fit au