Page:Daudet - Jack, II.djvu/187

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que je dus faire de tous les plombs grain par grain, et l’opération finie, me remercia en très bon français, sur un accent étranger, chantant et doux. Comme on ne pouvait le transporter sans danger, je continuai à le soigner chez le garde. J’appris qu’il était Russe et de grande famille ; « le comte Nadine, » ainsi l’avaient appelé ses compagnons de chasse.

Quoique la blessure fût dangereuse, Nadine se trouva vite hors d’affaire grâce à sa jeunesse, à sa vigueur, grâce aussi aux soins de la mère Archambauld ; mais il ne pouvait toujours pas beaucoup marcher, et comme je pensais qu’il devait souffrir de son isolement, que c’était bien dur pour un jeune homme habitué au luxe et à la haute vie cette convalescence en hiver au milieu de la forêt avec des branches et des feuilles pour horizon et pour toute compagnie la pipe silencieuse d’Archambauld, je vins souvent le chercher dans ma voiture en rentrant de mes courses. Il dînait avec nous. Quelquefois même, quand le temps était trop mauvais, il couchait à la maison.

Je dois en faire l’aveu, je l’adorais, ce bandit. J’ignore où il avait pris tout ce qu’il savait, mais il savait tout. Il avait navigué, servi, fait le tour du monde, connaissait la guerre et la marine. À ma femme, il donnait des recettes pharmaceutiques de son pays ; à ma fille il apprenait des chansons de l’Ukraine. Nous étions positivement sous le charme, moi surtout, et quand le soir je rentrais, cinglé par le vent