Page:Daudet - Jack, II.djvu/206

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n’en as la mine… Va-t-en chez Eyssendeck, la grande maison de la rue Oberkampf. On demande des journaliers au découpoir et au balancier. Tu diras au contre-coup que c’est la Balafre qui t’envoie… À présent, si tu veux payer un canon de la bouteille[1].

Jack paya le canon demandé, s’en alla à l’adresse qu’on venait de lui donner, et une heure après, engagé chez Eyssendeck à six francs la journée, il suivait la rue du Faubourg-du-Temple, l’œil brillant, la tête haute, en cherchant un logement pas trop loin de la fabrique. Le soir venait, la rue était très animée par le lundi, jour férié maintenant dans tous les quartiers excentriques, et sur cette longue voie en pente, c’était une circulation ininterrompue de gens descendant vers la ville ou remontant vers l’ancienne barrière. Les cabarets ouverts débordaient jusque sur les trottoirs. Sous les larges portes cochères, les charrettes, les haquets, dételés, les brancards en l’air, annonçaient la journée finie. Quel tumulte, surtout au delà du canal, quel fourmillement sur ce pavé rocailleux, escarpé, disjoint d’avance pour les révolutions par toutes les petites charrettes à bras qui le sillonnent sans cesse, longeant les ruisseaux, chargées de victuailles, de légumes à bas prix, de poisson étalé, tout un marché ambulant où les ouvrières — pauvres femmes que le labeur quotidien éloigne du logis — achètent le souper

  1. Il y a le canon du litre et le canon de la bouteille. Celui-ci est bien plus distingué.