Page:Daudet - Jack, II.djvu/207

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de la famille juste au moment de le préparer ! Et des cris de halles, des cris de Paris, les uns gais, montant aux notes aiguës, les autres si ralentis, si monotones, qu’ils paraissent traîner à leur suite tout le poids de la marchandise annoncée :

J’ai des petits pigeonneaux !…

Limande à frire, à frire !

Cresson de fontaine, à six liards la botte !…

Jack au milieu de cette animation s’en allait, le nez en l’air, guettant dans le peu de jour qui restait, les écriteaux jaunes des garnis. Il était heureux, plein de vaillance, d’espérance, impatient de commencer la double vie d’ouvrier et d’étudiant qu’il allait entreprendre. On le poussait, on le bousculait, il ne s’en apercevait pas. Il ne sentait pas le froid de cette soirée de décembre, n’entendait pas les petites ouvrières ébouriffées se dire l’une à l’autre en passant près de lui : « Voilà un bel homme. » Seulement tout le grand faubourg lui semblait à l’unisson de sa gaîté, de sa confiance, l’encourageait avec cette bonne humeur persistante qui est le fond du caractère parisien, insouciant et facile. En ce moment, la retraite sonnant sur la chaussée, mettait au milieu de la foule un groupe serré, à peine distinct, des pas réguliers, un peu d’harmonie, un alerte Angelus au clairon, que les gamins suivaient en sifflant. Et tous les visages rayonnaient rien que pour cette note vivace jetée à la fatigue environnante.