Page:Daudet - Jack, II.djvu/223

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arrivait des chambres de chauffe, dont les batailles à coups de ringard sont célèbres chez les mécaniciens.

Aux yeux des hommes, cela suffisait pour le rendre presque sympathique ; aux yeux des femmes, il possédait un autre prestige, cette lumière où marchent ceux qui aiment et qui sont aimés. Avec sa longue taille élégante, redressée maintenant par l’élan d’une volonté, sa tenue soignée, il faisait aux ouvrières, qui toutes avaient lu les Mystères de Paris, l’effet d’un prince Rodolphe à la recherche d’une Fleur-de-Marie. Mais les pauvres filles perdaient les sourires fanés qu’elles lui jetaient, lorsqu’il traversait leur coin d’atelier plein de bavardages, toujours animé de quelque drame, presque toutes ayant un amant dans la fabrique, et ces liaisons amenant des jalousies, des ruptures, des scènes perpétuelles. À l’heure du déjeuner, quand sur le bord de l’établi elles prenaient leur maigre repas, les discussions s’allumaient entre ces créatures qui ne renonçaient pas à être des femmes, se coiffaient pour l’atelier comme pour le bal, et, en dépit des limailles de fer, des éclaboussures du travail, gardaient dans leurs cheveux un ruban, une épingle brillante, un reste de coquetterie.

En sortant de l’usine, Jack s’en allait toujours seul. Il avait hâte d’arriver dans son logement, de quitter sa blouse d’atelier et de changer d’occupation. Entouré de ses livres, petits livres scolaires aux marges desquels son enfance avait laissé bien des