Page:Daudet - Jack, II.djvu/224

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souvenirs, il commençait le labeur du soir et s’étonnait chaque fois des facilités qui lui venaient, de ce que le moindre mot classique ressuscitait en lui d’anciennes leçons apprises. Il était plus savant qu’il ne croyait. Parfois cependant des difficultés inattendues surgissaient entre les lignes, et c’était touchant de voir ce grand garçon, dont les mains se déformaient tout le jour aux lourdeurs du balancier, s’énerver à tenir une plume, la brandir, la jeter quelquefois dans un mouvement de colère impuissante. À côté de lui, Bélisaire cousait les visières de ses casquettes ou la paille de ses chapeaux d’été avec un silence religieux, la stupéfaction d’un sauvage assistant à des incantations de magicien. Il suait des efforts que faisait Jack, tirait la langue, s’impatientait, et quand le camarade était venu à bout de quelque passage difficile, lui-même hochait la tête d’un air vainqueur. Le bruit de la grosse aiguille du camelot traversant la paille épaisse, la plume de l’étudiant grinçant sur le papier, ses gros dictionnaires lourdement remués emplissaient la mansarde d’une atmosphère de travail tranquille et saine, et quand Jack levait les yeux, il apercevait en face de lui, derrière les vitres, des lueurs de lampes laborieuses, des ombres actives prolongeant courageusement leur veillée, l’envers d’une nuit de Paris, tout ce qui rayonne au fond de ses cours pendant que ses boulevards s’allument.

Vers le milieu de la soirée, son enfant couché et