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Page:Daudet - Jack, II.djvu/241

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devenir digne de celle qu’elle appellerait un jour « ma fille. » Il semblait à Jack que, par ce seul événement, la distance diminuait entre sa fiancée et lui, et dans sa joie, il maniait le lourd balancier de l’usine Eyssendeck d’un tel élan, que les compagnons le remarquèrent :

— Regarde donc l’Aristo, là-haut, comme il a l’air content !… Faut croire que les affaires vont bien avec ta payse, eh ! l’Aristo.

— Ma foi, oui… disait Jack en riant.

Toute la journée il ne fit que rire. Mais voici qu’après le travail, tandis qu’il remontait la rue Oberkampf, une peur le prit. Allait-il retrouver, dans sa chambre, celle qui y était venue si précipitamment ? Il savait avec quelle promptitude Ida attachait des ailes à tous ses caprices ; et puis la passion dégradante que cette faible créature avait toujours eue pour sa chaîne, lui laissait craindre qu’elle n’eût senti la tentation de la renouer sitôt après l’avoir rompue. Aussi arpenta-t-il vivement la distance ; mais, dès l’escalier, sa crainte cessa. Parmi les grincements de la maison ouvrière, une voix fraîche montait en roulades éclatantes, filant des sons comme un chardonneret captif dans une cage nouvelle. Jack la connaissait bien, cette voix sonore.

Au premier pas qu’il fit dans son « chenil, » il s’arrêta stupéfait. Nettoyée de fond en comble, débarrassée de la cargaison de Bélisaire, ornée d’un beau lit, d’une toilette, loués par Ida, la chambre était