Page:Daudet - Jack, II.djvu/246

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Alors il lui apprit le secret de son cœur, et la double vie qu’il menait, avec quelle splendide espérance au bout. Jusqu’ici il ne lui en avait jamais parlé. Il connaissait trop bien cette tête à l’évent, pleine de lacunes et de fentes, pour lui confier ses projets de bonheur. Il craignait trop la révélation qu’elle n’aurait pas manqué de faire à d’Argenton ; et l’idée que son rêve d’amour traînerait dans cette maison où il ne se connaissait que des haines, le révoltait, lui faisait peur. Il se méfiait du poëte, de son entourage, et son bonheur lui aurait semblé compromis entre leurs mains. Mais à présent que sa mère était revenue à lui, à présent qu’il la tenait enfin, indépendante et seule, il pouvait lui parler de Cécile, se donner cette joie suprême. Jack raconta donc son amour avec l’ivresse, la fougue de ses beaux vingt ans, l’éloquence qu’il trouvait dans la sincérité de sa parole et dans cette maturité d’impressions qu’il devait à ses souffrances passées. Hélas ! sa mère ne le comprenait pas. Tout ce qu’il y avait de grand, de sérieux dans l’affection de ce déshérité lui échappait. Quoique très sentimentale, l’amour n’avait pas la même signification pour elle que pour lui. En l’écoutant, elle était émue comme à un troisième acte du Gymnase, quand l’ingénue, en robe blanche, en tablier à bretelles roses, écoute la déclaration de l’amoureux frisé au fer, en veston. Elle se pâmait d’aise, le cou tendu, les mains ouvertes, doucement chatouillée par cette passion ingénue qui la faisait