Page:Daudet - Jack, II.djvu/256

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« Voyons, vous, comment fait-on ? Comment avez-vous fait avec M. Weber ? »

Ainsi interpellée, la porteuse de pain répondit bien tranquillement qu’elle s’était mariée au pays, dans une ferme, et que même elle avait servi à table ce jour-là. Le vieux en fut pour sa malice ; mais il était facile de voir que les Bélisaire n’étaient pas contents, et que toutes les splendeurs du dîner ne suffiraient pas pour leur rendre la sérénité. L’aîné marié, c’était la vache à lait tarie pour la famille, le plus clair des bénéfices envolé.

En commençant, chacun mangeait silencieusement, d’abord parce qu’on avait une faim intense, et puis aussi à cause d’une certaine intimidation causée par le service de ces messieurs en habit noir, que Bélisaire essayait en vain de dérider avec son bon sourire. Singuliers types ces garçons de banlieue, fanés, flétris, effrontés, avec leurs mentons rasés, leurs grands favoris tombants laissant voir la bouche, lui donnant des expressions ironiques, sévères, administratives. On aurait dit des préfets destitués et réduits à des besognes humiliantes. Le comique, c’était l’air dédaigneux avec lequel ils regardaient tous ces pauvres hères, gens de peu, conviés à une noce à cent sous par tête. Ce chiffre énorme de cent sous, que chacun des convives se redisait avec admiration, qui entourait d’une auréole luxueuse ce Bélisaire capable de dépenser cent francs d’un seul coup pour son dîner de