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Page:Daudet - Jack, II.djvu/268

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indigo, son bonnet à fleurs, et remit le grand tablier bleu à bavette. Pour elle le dimanche n’existait pas. Le pain est aussi demandé ce jour-là que les autres. Elle commença donc bien vite sa tournée, et pendant que son enfant et son homme dormaient là-haut à poings fermés, la brave créature jetait son retentissant « V’là le pain » à toutes les portes de ses pratiques avec une sorte de courageux contentement, comme si elle eût commencé dès lors à racheter tous les frais de cette splendide noce.

Il ne fallut pas longtemps au nouveau ménage pour s’apercevoir de l’incapacité du Camarade et de la mauvaise affaire qu’on avait faite en le prenant pour associé. Le repas du mariage avait déjà donné à Bélisaire l’occasion de constater les penchants d’ivrognerie du personnage. Huit jours après, il était édifié sur tous ses autres vices entretenus par une paresse indélébile entrée dans la chair de cet homme comme une crasse, et qui avait rouillé pour toujours ses facultés laborieuses. De son état, le Camarade était serrurier ; mais de mémoire de compagnon on ne se souvenait pas de l’avoir vu travailler, quoiqu’il ne se montrât jamais sans son marteau sur l’épaule et son tablier de cuir roulé sous le bras. Ce tablier, qu’il ne dépliait jamais, lui servait d’oreiller plusieurs fois par jour, lorsqu’en sortant d’un cabaret où il avait fait une station trop longue il éprouvait le besoin d’une