Page:Daudet - Jack, II.djvu/267

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Le petit jardin, encombré de bouteilles vides, de grands baquets où l’on rinçait les verres, apparaissait dans un restant de brume, semé de morceaux de tulle, de mousseline, arrachés aux robes des danseuses par les talons de leurs danseurs. Pendant qu’on entendait encore des crincrins au rez-de-chaussée, les garçons hébétés, endormis, mais toujours sardoniques, ouvraient les fenêtres du premier, battaient les tapis, arrosaient les planchers, commençaient déjà à poser le décor neuf pour la représentation prochaine. Des gens éreintés, le teint brouillé, les yeux battus, demandaient des voitures, s’endormaient sur des bancs devant la porte en attendant le premier train. Il y avait des disputes au comptoir pour régler les additions, des scènes de famille, des querelles, des batailles. Monsieur et madame Bélisaire furent bientôt loin de ces victimes du plaisir. Heureux, solides, la tête haute, ils avaient pris d’un pas rapide un chemin de traverse mouillé d’aube, pleins de petits cris d’oiseaux, de rumeurs matinales, et rentrèrent à Paris en suivant les grandes avenues de Bel-Air ombragées d’acacias en fleurs. C’était une fière étape, mais la route ne leur sembla pas longue. L’enfant dormit tout le long du chemin en appuyant avec confiance sa grosse tête sur la poitrine du camelot, et ne se réveilla pas même quand on l’eut posé dans sa bercette d’osier, en arrivant au logis vers six heures du matin. Immédiatement madame Bélisaire quitta sa belle robe