Page:Daudet - Jack, II.djvu/276

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tent que lorsqu’il put arpenter les routes du bois, sa fiancée légèrement appuyée à son bras. Connaissez-vous cet élan merveilleux que la voile donne au bateau, qui le fait voler, fendre le courant et la brise ? C’était cela que l’amoureux ressentait en ayant le bras de Cécile sous le sien ; alors les difficultés de la vie, les obstacles de la carrière qu’il tentait, il était sûr de tout traverser en vainqueur, aidé par une influence réconfortante, qui planait au-dessus de lui dans ces régions mystérieuses où le destin souffle ses tempêtes. Mais ce jour-là la présence de sa mère troublait cette impression délicieuse. Ida ne comprenait rien à l’amour, le voyait ridiculement sentimental, ou, sinon, sous la forme d’une partie carrée. Elle avait, en montrant les amoureux au docteur, des petits rires scélérats, des « hum !… hum !… » ou bien elle s’appuyait à son bras, avec de longs soupirs d’orgue expressif : « Ah ! docteur, c’est beau la jeunesse. » Mais le pis de tout, c’étaient des susceptibilités qui lui venaient subitement à l’endroit des convenances ; elle rappelait les jeunes gens, trouvait qu’ils s’éloignaient trop : « Enfants, n’allez pas si loin… qu’on vous voie ! » Et elle faisait des yeux singulièrement significatifs.

Deux ou trois fois, Jack surprit une grimace du bon docteur. Évidemment elle l’agaçait. Malgré tout, la forêt était si belle, Cécile si complétement affectueuse, les mots qu’ils échangeaient se mêlaient si bien au bourdonnement des abeilles, aux murmures tourbil-