Page:Daudet - Jack, II.djvu/285

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cher à lui pour se tirer de l’abîme où elle se sentait disparaître.

— Allons dîner dehors, disait Jack… cela te distraira.

Mais il manquait à Ida la distraction suprême de pouvoir faire une toilette, de pouvoir tirer de l’armoire où ils restaient pendus ses jolis costumes d’autrefois, trop coquets, trop excentriques pour sa situation présente, et dont le luxe demandait celui d’une voiture ou du moins un autre quartier. Elle s’habillait aussi modestement que possible pour ces promenades dans des rues indigentes. Malgré tout, il y avait toujours dans sa mise quelque chose de choquant, l’échancrure du corsage, la frisure des cheveux, les grands plis des jupons, et Jack prenait exprès une allure un peu bonhomme, protégeait de toute sa gravité cette mère affichante comme une maîtresse. Ils s’en allaient parmi ces longues files de petits bourgeois, d’ouvriers endimanchés marchant à petits pas, les uns derrière les autres, par des rues, des boulevards dont ils connaissent toutes les enseignes lettre à lettre, mélange d’honnêtes visages et de tournures grotesques, des redingotes qui montent dans le cou, des châles qui descendent dans le dos, des vêtements passés de mode, exhibés seulement en ce jour du dimanche, synonyme de repos et de promenade, et qui remplit la ville entière du piétinement, du murmure d’une foule s’écoulant de toutes parts, après un feu d’artifice. Il y a bien, en