Page:Daudet - Jack, II.djvu/292

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pocampes sur la cheminée comme à Indret, et les images de piété de la chambre de Zénaïde, et la grosse armoire à ferrures, tout un intérieur breton expatrié près des fortifications avec une illusion de campagne autour de lui. Il se plaisait dans ce milieu honnête et d’une propreté toute provinciale. Mais il ne tarda pas à s’apercevoir que sa mère s’ennuyait avec Zénaïde, trop laborieuse, trop positive pour elle, et que là comme partout où il la conduisait, elle était poursuivie de la même mélancolie, du même dégoût qu’elle exprimait par ces trois mots :

— Ça sent l’ouvrier !

La maison de la rue des Panoyaux, le couloir, la chambre qu’elle occupait avec son fils, le pain qu’elle mangeait, tout lui semblait imprégné d’une odeur, d’un goût particuliers, de cet air vicié que les quartiers pauvres, les accumulations de peuple, les fumées des usines, la sueur du travail entretiennent dans certaines parties des grandes villes. Ça sentait l’ouvrier. Si elle ouvrait sa fenêtre, elle retrouvait cette odeur dans la cour ; si elle sortait, la rue la lui apportait dans ses bouffées malsaines, et les gens qu’elle voyait, son Jack lui-même quand il revenait de l’atelier avec sa blouse tachée d’huile, exhalaient cette même odeur indigente qui s’attachait à elle, la pénétrait d’une immense tristesse, de cet écœurement qui fait les suicides.