Page:Daudet - Jack, II.djvu/296

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Air et paroles, tout rappelait à Jack des souvenirs honteux et douloureux. Ah ! s’il avait osé, quelles dures vérités il eût dites à cette insensée ; comme il eût volontiers jeté à la hotte avec indignation tous ces bouquets fanés, toutes ces feuilles mortes et sèches, assez folles pour valser encore dans cette pauvre tête vide et la remplir de leurs tourbillons. Mais c’était sa mère. Il l’aimait, il voulait, à force de respect, lui apprendre à se respecter elle-même ; il ne lui parla donc de rien. Seulement ce premier avertissement du danger avait lancé son esprit dans tous les tourments jaloux des êtres que l’on va trahir. Il en arriva à épier l’air qu’elle avait quand il partait, et au retour l’accueil de son sourire. Il craignait tant pour elle ces fièvres, ces rêveries que la solitude cause aux femmes inactives. Et nul moyen de la faire surveiller. C’était sa mère. Il ne pouvait confier à personne la défiance qu’elle lui inspirait. Pourtant Ida, depuis cette lettre de d’Argenton, s’était remise plus vaillamment aux soins du ménage, elle s’occupait de sa maison, préparait le dîner de son fils, et même tirait de l’oubli où elle l’avait laissé le livre de dépense plein de blancs et de lacunes. Jack se méfiait toujours. Il savait l’histoire de ces maris trompés dont on enveloppe la vigilance de petits soins, d’attentions délicates, et qui peuvent reconnaître la date de leur infortune à toutes les manifestations d’un remords inexprimé. Une fois, en revenant de l’atelier, il crut voir Hirsch et Labassindre,