Page:Daudet - Jack, II.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours d’hésitation, il avait pris son parti bravement.

— Ma foi, tant pis !… Je continuerai… L’œuvre d’art ne doit pas être livrée au hasard des circonstances.

Et ç’avait été un spectacle du plus haut comique, ce poëte se lamentant du départ de sa maîtresse en présence de la maîtresse elle-même, qui s’entendait traiter de « méchante », d’ « infidèle », de « chère absente », et consignait toutes ces belles épithètes de sa propre écriture sur un cahier noué de faveurs roses. Le poëme fini, d’Argenton avait voulu le lire à sa bande, moins par vanité d’artiste que par gloriole d’amant, pour apprendre à tous les Ratés que son esclave était revenue et qu’il la tenait bien cette fois. Jamais le petit appartement du quatrième n’avait encore vu une soirée si somptueuse, un luxe pareil de fleurs, de tentures, de rafraîchissements ; jusqu’à la toilette de la chère absente, toute blanche, semée de violettes pâles, qui se trouvait bien en harmonie avec le rôle muet qu’elle allait jouer pendant la lecture. On ne se serait pas douté, en entrant là, que des embarras d’argent rôdaient sur toutes ces splendeurs, comme d’invisibles toiles d’araignées tendues sur des ailes de papillons. Rien de plus vrai pourtant. La Revue en était à ses derniers jours, diminuait de format à chaque numéro, et ne paraissait plus qu’à de lointains intervalles de plus en plus intermittents. D’Argenton, après y avoir englouti la moitié de son héritage, songeait à la