Page:Daudet - Jack, II.djvu/345

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furent partis, la chambre parut tout de suite moins dénuée et moins froide.

Jack avait entendu. Il entendait tout ce qu’on disait. Le plus souvent, depuis que cette rechute terrible de sa maladie de poitrine, jointe à la déception navrante de son amour, le tenait cloué dans son lit, il ne dormait pas, mais se détournait à dessein de la vie qui l’entourait, se renfermait dans un mutisme que la fièvre elle-même et ses hallucinations ne parvenaient pas à vaincre. Ses yeux, tournés vers le fond de l’alcôve, restaient grands ouverts tout le jour, et si la muraille, la sombre muraille, ridée et lézardée comme un visage de vieille femme, avait pu parler, elle aurait raconté que dans ces yeux fixes de somnambule était écrit en lettres de flamme : « Malheur complet… désespoir sans bornes… » Elle seule voyait cela ; car le malheureux ne se plaignait jamais. Il essayait même de sourire à sa robuste garde-malade quand elle l’abreuvait de tisanes brûlantes et d’aimables encouragements. C’est ainsi qu’il passait ces longues journées solitaires où le bruit du travail venait le chercher jusque dans sa mansarde pour lui faire maudire son inaction forcée. Que n’était-il vaillant et fort comme tant d’autres, afin de résister aux désespérances de la vie ?… Et encore pour qui travailler désormais ? Sa mère était partie, Cécile ne voulait plus de lui. Ces deux figures de femme le hantaient, ne le quittaient pas. Quand le sourire joyeusement banal et