Page:Daudet - Jack, II.djvu/347

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— Mais comment allez-vous faire, mon pauvre camarade, faible comme vous êtes ?

— Oh ! je suis un peu patraque. Mais quand il faut marcher, on marche. Bélisaire me prétera son bras. Il m’a promené comme cela dans les rues de Nantes, un jour que je n’étais pas aussi solide qu’aujourd’hui.

Devant une volonté aussi formelle, on ne pouvait plus hésiter. Jack embrassa madame Bélisaire et descendit, soutenu par le camelot, après avoir jeté un adieu muet et navré à ce petit logement, où il avait passé de si belles heures, caressé de si beaux rêves, et qu’il savait bien ne plus jamais revoir. À cette époque, le bureau central était situé en face de Notre-Dame ; un monument carré, gris et triste d’aspect, élevé de quelques marches. Pour arriver jusque-là des hauteurs de Ménilmontant, que la route leur sembla longue ! On s’arrêta souvent, sur les bornes, au coin des ponts, mais sans de grands repos parce que le froid était vif. Sous le ciel bas et lourd de décembre, le malade paraissait plus hâve, plus défiguré que dans son alcôve. Ses cheveux étaient mouillés de sueur, tirés par l’effort de la marche ; et tout tournait devant sa faiblesse, les maisons noires, les ruisseaux, les figures des passants apitoyés par le couple lamentable que formaient le camelot et son compagnon. Dans ce Paris brutal où l’existence ressemble à un combat, on eût dit un blessé tombé pendant l’action et qu’un camarade em-